Hommage à Christian Simatos

Christian Simatos, membre d’honneur d’Espace Analytique, est mort le 12
Novembre 2020. Lacan le nomma secrétaire de l’E.F.P. pour son attention pleine et
discrète à l’autre, et son écoute toujours menée par l’ouverture à l’inconscient.
Nous adressons nos condoléances émues et les plus sincères à sa famille et à ses
proches.

13 Novembre 2020
Le Bureau

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Christian Simatos par Marielle David

Christian Simatos fit partie d’une génération qui connut les neuropsychiatres. Il en fut. En cette époque du bouillonnement de la psychanalyse, il choisit d’abord pour psychanalyste Jacques Lacan. Il ne se laissa pourtant pas envouter par sa personne et arrêta cette tranche d’analyse quand il en sentit la nécessité. Il dirigea le CMPP de Saint Germain en Laye qui lui permit d’accueillir nombre de psychanalystes.

C’est Lacan, fort de la connaissance de sa personnalité, qui vint le chercher pour être secrétaire de l’EFP. « Il avait sans doute pressenti que je saurais ne pas en jouir au détriment de la fonction » qu’il occupait, a-t-il écrit lui-même dans un article destiné à un ouvrage collectif aux Editions de Thierry Marchaisse, son gendre, recueil de « Lettres à Lacan ». Il s’y « plia non sans quelque satisfaction ». Son rôle était large. Pour entrer à l’E.F.P., il fallait aller le voir rue Saint Jacques. Nous sommes plusieurs à lui devoir d’être ainsi devenu(e)s membres de l’EFP.

Il fut chassé de son poste très brutalement dans les derniers moments de cette institution. Il en fut surement abasourdi, mais pas détruit. Car la psychanalyse n’était pas pour lui affaire de pouvoir mais une écoute très fine de l’altérité d’autrui qu’il accueillait avec une très grande indulgence qui n’excluait pas une fermeté de pensée.

Son amitié avec Serge Leclaire lui tint ensuite lieu de gouvernail et il fut président de l’Appui qui très tôt mit en question le statut du psychanalyste, que Jacques Sédat amplifia le moment venu par le groupe de contact.

Quand je lui proposai il y a une quinzaine d’années de faire un groupe de supervision clinique à Espace Analytique, il accepta bien volontiers. Et il fut nommé membre d’honneur de notre association. Il continuait ce groupe clinique avec François Kammerer cette année encore.

Son enthousiasme pour la psychanalyse avait toujours la même fraîcheur et une absolue sincérité. Nous perdons un grand ami.

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Christian Simatos par Elisabeth Roudinesco

Membre d’honneur d’Espace analytique, où il animait un séminaire avec Marielle David, Christian Simatos est mort des suites du COVID à l’âge de 90 ans, en toute lucidité et avec ce courage que chacun lui connaissait. Psychiatrede formation, excellent clinicien, esthète et aimant participer à la vie de la communauté psychanalytique avec toujours la grâce et l’élégance qui le caractérisaient, il appartenait à la quatrième génération française, celle qui n’avait pas participé directement aux deux scissions de 1953 et 1964. Analysé par Lacan en 1956, membre fondateur de l’Ecole freudienne deParis (EFP) en 1964, puis secrétaire de 1969 à 1979, il y joua un rôle important,en recevant les candidats qui souhaitaient s’engager dans le lacanisme. Sa manière de leur poser des questions est restée dans toutes les mémoires et je me souviens de l’accueil qu’il me réserva en 1969, quand Lacan me demande de lui rendre visite pour les « formalités ». Il voulait savoir pourquoi, n’étant à cette époque ni en analyse ni même désireuse de devenir psychanalyste, jem’intéressais aux travaux de l’EFP et de quelle manière je comptais y participer.

Et au bout de quelques minutes, devant mon embarras, il me dit : « Oui, le docteur Lacan compte sur des adhésions comme les vôtres ». Et nous parlâmes du structuralisme. 

À la suite de la dissolution de l’EFP, dont il conservait un souvenir vivace, il participa, en 1990, au lancement de l’Association pour une instance de la psychanalyse (APUI), auprès de Serge Leclaire. Comme celui-ci d’ailleurs, il faisait partie des rares cliniciens qui s’intéressaient à l’histoire du freudisme et à ses origines, lecteur émerveillé de l’ouvrage de Henri Ellenberger, Histoire de la découverte de l’inconscient, et toujours en quête de nouveaux savoirs. C’est avec une grande générosité qu’il m’ouvrit ses archives, en 1985, me donnant ainsi accès à de précieux documents qui me permirent d’écrire l’histoire de l’EFP.   Voici comment, en 2016, il définissait l’entrée de l’inconscient dans le processus de la cure : « Imaginez une pièce de théâtre jouée par des comédiens qui tiennent leur rôle, mis à part l’un d’eux, celui-là se tenant sur le plateau sans qu’on puisse lui reconnaitre le moindre rôle. Il habite la scène et il l’habite d’autant plus qu’on se demande ce qu’il y fait, sinon s’y poser en énigme. Ce que disent les comédiens, et ce qu’en entendent les spectateurs, est du même coup problématisé, les paroles inscrites dans le livret résonnent au-delà du texte écrit, en laissant au gré de chacun s’introduire une incertitude quant à ce qui est réellement signifié".

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Monsieur Simatos, un souvenir par Danièle Lévy

Octobre 73, une lettre au courrier, écriture inconnue mais qui ressemble à celle de Lacan. Elle m'annonce que je suis admise comme membre de L'Ecole freudienne. Je n'ai rien demandé. Si ce n'est en actes : depuis deux ou trois ans, ou peut-être quatre, j'assiste fidèlement au Séminaire de Lacan et à plusieurs groupes de travail  au local rue Claude Bernard. Une petite ligne supplémentaire : "Malheureusement, il n'y a pas eu de place pour Simon".

J'assistais au Séminaire de Lacan depuis que deux camarades de la rue d'Ulm m'avaient dit : comment tu ne vas pas au séminaire de Lacan ? C'étaient Baudry et Nassif. Le séminaire, c'était L'Acte psychanalytique.

Simon, c'était mon chien, un petit berger alsacien hérité d'un interne en psychiatrie qui ne pouvait pas le garder car il hurlait à la mort dès qu'il était seul. Nous l'avions appelé Simon pour ne pas dire Sigmund. Touché par son regard d'humain, mon ami l'avait sauvé d'un chenil misérable de l'Aisne où les animaux n'avaient à manger que des lentilles (je suis une ainée). Chez moi, mêmes hurlements sans fin ; si l'absence dure, le bestiau déchiquette meubles, rideaux et tapis. Ce sera pareil pour la voiture où en plus, il réussit à passer par l'entrebaillement de la fenêtre et à me retrouver où que je sois. Résultat, je l'emmène partout y compris aux séminaires. Il s'y tient parfaitement sage.

Je mentionne ces détails car ils sont chargés de signifiants ; je ne me souviens que maintenant que quand j'étais très petite nous avions eu un chien semblable que nous n'avions pas pu garder parce qu'il mordait même nous les enfants. Ma mère l'avait donné au boucher local qui savait y faire avec les chiens. Il n'est pas superflu de préciser que dans notre famille, même les chats étaient des chattes, notre père s'étant éclipsé à la fin de la guerre. 

La lettre était signée Simatos. Monsieur Simatos, que les anciens de l'Ecole appelaient Christian, ne savait rien de tout cela. Il avait juste remarqué ce chien qui un beau jour de rentrée était arrivé tout faraud  dans le grand amphi de la Fac de droit et, ne me trouvant pas tout de suite parmi les quelque 700 auditeurs, était d'abord allé saluer Lacan - et s'enquérir ? Lacan l'avait attrapé par le collier en demandant à qui est ce chien ?  Je suis allée le reprendre de sa main. Est-ce la raison pour laquelle les rares fois où il (Lacan !) m'a adressé la parole il me prenait d'abord pour une autre ? ou tout à la fin, à la dernière fête à la Maison de l'Amérique latine : Ah c'est vous Danièle Lévy ? Comment êtes-vous atiffée ? Ainsi s'est faite ma place au fil des années.

Je suis entrée dans la Salle Dussane, emplie de personnes de tous âges que je trouvais plutôt belles. L'air était imprégné d'une excitation discrète. Naturellement je n'ai rien compris à ce que disait Lacan, sauf quelques éclairs qui m'ont fait tout de suite penser que cet homme là disait des choses que je savais mais que je n'aurais jamais su dire.  M'est revenu par la suite qu'à 15 ans lorsqu'on me demandait ce que je voulais faire, je disais "psychanalyste" sans avoir aucune idée de ce que c'était. Sauf que j'avais lu un peu de Freud et que ce qu'il disait de la femme... Lacan m'a enrobé cette pilule. Bref, en entendant Lacan j'avais trouvé le lieu ou je voulais être. 

Alors, Christian ? Peu après sa lettre, j'ai trouvé moyen je ne sais comment de ne plus trainer Simon partout derrière moi ! Si ça se trouve, il était guéri ?

Est-il nécessaire de commenter, d'expliquer ? La Lettre à Lacan que le Cercle reprend du site Oedipe pour annoncer le décès de Simatos dit ce qu'il fallait dire : que la place de Lacan se trouve ancrée en nous en deça de toute connaissance, tout en ouvrant au savoir un accès qui devrait être sans illusion. Ses proches, chacun à sa façon, en conservent quelque chose qu'il est aujourd'hui difficile de retrouver. 

Merci Christian l'inimitable.