Hommage à Abram Coen

Nous apprenons le décès d’Abram Coen, membre d’Espace analytique, psychiatre et psychanalyste, qui dirigea plusieurs secteurs de pédopsychiatrie où il a toujours mis au premier plan l’approche psychanalytique.

Nous adressons à sa famille et à ses proches nos condoléances attristées.
16 Novembre 2020

Le Bureau

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Abram Coen, un Mensch ! par Céline Masson

J’ai connu Abram au moment où j’organisais ce colloque un peu atypique, Shmattès la mémoire par le rebut en 2004. Je reçus une missive environ un an auparavant d’Abram que je ne connaissais pas mais son nom évoquait la traversée du désert et la sortie d’Egypte. Il m’écrivit, intéressé par cette idée de colloque et sans délai, nous l’associâmes, avec Eric Ghozlan, Francine Kaufmann, Michel Wolkowicz …, à l’équipe des shmattologues. L’aventure avait commencé et notre patriarche était embarqué avec nous dans les autres colloques de la route de soi, Panim/pnim ; l’exil prend-il au visage en 2006 à Tel Aviv, puis en 2009 La force du nom (Paris et Jérusalem). Espiègle, vif, élégant, Abram était un Mensch, terme laudatif que l’on peut traduire par gentleman, homme distingué, cette photo, que nous avions prise de lui avec l’artiste Michel Nedjar pour le film que nous réalisions alors sur le métier de tailleur, en témoigne. Il pouvait aussi être un Nebenmensch, suffisamment bon mais à bonne distance afin de permettre que surgissent ces moments de création chez ses coéquipiers. Abram était cet homme affable, généreux, toujours très loquace, parfois abrupt et sûrement opiniâtre. En somme, c’était un passeur, un ivri, un homme conjuguant tradition juive et modernité et dont la présence était rassurante, apaisante et toujours très amicale. Il a réussi ce pari de la transmission sûrement auprès de ses proches et très certainement auprès de ses nombreux collègues.

Dans le livre Shmattès, la mémoire par le rebut
http://www.lambert-lucas.com/wp-content/uploads/2020/01/shmattes_oa_TR.pdf,

il écrivait, p.251-252
 "La queriah, déchirure rituelle du vêtement, symbolise le deuil juif. Elle avait lieu dès la connaissance du décès. Aujourd’hui cette déchirure, qui traduit l’irréversibilité de la perte et la séparation, s’effectue le plus souvent au cimetière quand le cadavre n’est pas encore enterré. Elle ponctue le moment de la prise de conscience traumatique, et marque le début de la temporalité propre au deuil juif avec ces points forts que constituent la semaine, le mois, l’année : autant de moments forts de l’élaboration du deuil. Concrètement il s’agit de pratiquer, sur le vêtement qu’on porte, une fente d’environ dix centimètres au départ de la clavicule ; à gauche en direction du cœur pour le père et la mère ; à droite pour le frère ou la sœur, l’époux ou l’épouse, le fils ou la fille. Elle fait référence à la douleur de Jacob telle qu’elle est relatée dans Genèse 37,34 : « et il déchira ses vêtements, il mit un sac sur ses reins et il porta longtemps le deuil de son fils. » Il s’agit donc d’un signe d’extériorisation – au moment où l’objet n’existe plus –, d’un signe inaugural qui marque le constat de la perte et la traversée d’une épreuve pénible de réalité de la disparition. Cette matérialisation donnée à voir de la souffrance semble initier nécessaire travail subjectif de désinvestissement de l’objet interne. Il convient de s’interroger sur le sens de ce rite et surtout de sa persistance jusqu’à nos jours. La scène de la déchirure, surtout quand elle est pratiquée en public, peut paraître sauvage pour quelqu’un d’étranger à cette tradition. Cette violence propre s’ajoute à celle d’une situation déjà suffisamment douloureuse en soi ! Le vêtement déchiré sera porté les sept jours du deuil. Cette marque constitue une représentation, une figuration, une métaphore de l’objet perdu ; un lieu évidé de l’absence. Elle témoigne de la blessure de la séparation. (...)

Si l’on en revient alors à la fente que crée la queriah ne doit-on pas voir, dans cette ponctuation, témoignant d’une fin de vie d’un proche, une inscription du féminin « la faucheuse » irréversible sur le vêtement à conserver. La prescription de la queriah serait-elle un passage obligé par le féminin, le temps de faire son deuil ? La consolation serait-elle une écriture féminine qui viendrait tamponner la perte ? L’endeuillé se doit donc de marquer sa différence par un passage provisoire au féminin. Consolation et utérus présentent une certaine homophonie en hébreu. N’est-ce pas là une métaphore du travail de castration, la transition, le passage par le féminin ?"