Édito courrier 127

De lourdes restrictions pèsent à nouveau sur notre activité. Les séminaires en présence ont dû être une fois encore annulés et la retransmission en zoom s’est organisée au cas par cas (le lien peut être demandé à chaque enseignant).

Nous avons pu, comme annoncé, enregistrer les interventions présentées aux Journées Actualité des pulsions, tables rondes et ateliers (1). Ces enregistrements vont être postés sur le site espace-analytique. org au fur et à mesure de leur mise au point. Ils nous permettent de livrer les réflexions et les travaux que nous souhaitions communiquer en mars dernier, et que l’épidémie nous avait imposé de reporter puis d’annuler en présence, éventualité encore plus impossible à l’heure actuelle. Il y a lieu de remercier les intervenants qui ont eu la patience d’attendre et de continuer leur travail, afin que l’enthousiasme qui le porte nous parvienne presque intact. « Actualité des pulsions », un titre prémonitoire si l’on veut, tant la situation épidémique et les mesures prises ont rendu intensément actuels et visibles les traits pulsionnels que nous observons dans l’expérience, tels qu’une privation de jouissance massive, à différents niveaux, les reproduit. Cette sorte de force que l’on peut observer continûment, où le corps se manifeste plus ou moins bruyamment, d’une manière régulée qui semble dans l’ordre des besoins ou bien d’une manière incoercible sans égard au besoin, est ce par quoi la pulsion s’est fait connaître de tous. Elle est désormais apparue comme quelque chose qui n’est pas fondamentalement instinctuel, contrairement aux apparences, mais obéit à des logiques inconscientes passant par les appels du corps et déformant ses besoins. Il est dès lors manifeste qu’elle relève d’un nouage irréductible entre le corps et le langage.
 

(1) Texte établi à partir de l’Introduction des Journées Actualité des pulsions  enregistrées 12 rue de Bourgogne, les 10 et 11 octobre 2020.

 

De lourdes restrictions pèsent à nouveau sur notre activité. Les séminaires en présence ont dû être une fois encore annulés et la retransmission en zoom s’est organisée au cas par cas (le lien peut être demandé à chaque enseignant).

Nous avons pu, comme annoncé, enregistrer les interventions présentées aux Journées Actualité des pulsions, tables rondes et ateliers (1). Ces enregistrements vont être postés sur le site espace-analytique. org au fur et à mesure de leur mise au point. Ils nous permettent de livrer les réflexions et les travaux que nous souhaitions communiquer en mars dernier, et que l’épidémie nous avait imposé de reporter puis d’annuler en présence, éventualité encore plus impossible à l’heure actuelle. Il y a lieu de remercier les intervenants qui ont eu la patience d’attendre et de continuer leur travail, afin que l’enthousiasme qui le porte nous parvienne presque intact. « Actualité des pulsions », un titre prémonitoire si l’on veut, tant la situation épidémique et les mesures prises ont rendu intensément actuels et visibles les traits pulsionnels que nous observons dans l’expérience, tels qu’une privation de jouissance massive, à différents niveaux, les reproduit. Cette sorte de force que l’on peut observer continûment, où le corps se manifeste plus ou moins bruyamment, d’une manière régulée qui semble dans l’ordre des besoins ou bien d’une manière incoercible sans égard au besoin, est ce par quoi la pulsion s’est fait connaître de tous. Elle est désormais apparue comme quelque chose qui n’est pas fondamentalement instinctuel, contrairement aux apparences, mais obéit à des logiques inconscientes passant par les appels du corps et déformant ses besoins. Il est dès lors manifeste qu’elle relève d’un nouage irréductible entre le corps et le langage.

Il suffit en effet, pour que ces pulsions apparaissent avec évidence, d’opérer une privation, une perte de jouissance : on voit alors une force se lever, se déployer, une poussée plus ou moins intense, une course plus ou moins effrénée dans le but de retrouver une jouissance, quelle qu’elle soit, qui compense la perte. Et l’on observe aussi que curieusement, les objets qui viennent la compenser n’ont parfois rien à voir avec celle qui a été perdue, alors qu’ils satisfont quand même. Ce processus aisément observable a ajouté à la clinique freudienne de la pulsion un versant nouveau, développé par l’observation lacanienne à la lumière de ce qui se décrit dans une autre sorte d’économie que celle de la jouissance, l’économie politique. C’est pourquoi le qualificatif de plus de jouir est venu souligner le fait que cette poussée de la pulsion n’est pas celle de l’instinct, si elle est bien celle du corps, car elle est ce qui résulte de l’appel que cause une perte de jouissance, un en plus appelé par un plus du tout.

Ce processus est aussi bien observable dans l’évolution des modes de jouissance dans l’expérience subjective que dans les civilisations au long de l’Histoire, où les renoncements successifs aux jouissances extrêmes, comme celles du sacrifice humain ou de l’esclavage, ont produit des plus de jouir successifs, jusqu’à la plus-value actuelle qui compense le renoncement capitaliste. Notre contemporanéité considère souvent l’évolution du rapport à la jouissance en termes de jouissance sans limite, or nous pouvons

(1) Texte établi à partir de l’Introduction des Journées Actualité des pulsions, enregistrées 12 rue de Bourgogne, les 10 et 11 octobre 2020

mesurer au contraire qu’il s’agit d’une course de plus en plus intense, d’un appel toujours plus fort à des objets pulsionnels susceptibles de se substituer aux renoncements toujours plus sensibles à tels modes de jouissance. L’épidémie qui nous atteint et son mode de traitement en illustrent une nouvelle étape majeure, qui montre presque à nu ces processus.

Freud, provisoirement, appelait mythes ces pulsions qu’il découvrait, non parce qu’ils n’étaient pas réels, bien sûr, mais qu’ils s’avéraient nouer ensemble deux champs aussi hétérogènes et pourtant indissociables l’un de l’autre que sont le corps et le langage. Il approchait de façon nouvelle ce qui nous définit comme corps parlants, et non pas seulement comme êtres parlants et corps vivants. C’est du corps parlant que la pulsion émane, ce corps qui parle une langue étrange animée d’une grammaire étrange. Cette première grande étape montrait comment le corps était symbolisé par le langage de l’inconscient et ses grands concepts, dont le phallus et son efficacité politique bien connue, où l’anatomie, comme « destin », intervenait aussi à l’inverse sur la grammaire des pulsions.

Il fallut une deuxième grande étape, impulsée par Lacan, pour que s’ajoute la description d’un autre versant au nouage de cette interaction complexe, celui d’un fonctionnement corporel physiologique qui intervient lui aussi, quoique d’une toute autre manière, sur les logiques du désir, avec de tout autres effets. Le fonctionnement de la jouissance sexuelle entre les corps sexués démontre ce point de vue : on sait de toujours que ledit rapport sexuel est massivement influencé et limité par les discours, mais il vient aussi à l’inverse influer sur les discours, et les autres pulsions également quoiqu’autrement.

Avec son concept de pulsion, Freud avait acté l’existence de ce nouage entre corps et langage, qui est devenu dans notre siècle un savoir commun, et son propos sur le symptôme le supposait de même, devenu avec Lacan un élément essentiel du remaniement possible d’une fin d’analyse, selon un nouveau nouage du corps au langage par l’intermédiaire de la jouissance, et non plus au nom d’un Père mythique qui les noue de façon séparée en excluant la jouissance.

Tout cela a traversé le travail de nos Journées, qui en ont parcouru de nombreuses déclinaisons, depuis la généalogie de la pulsion jusqu’à l’érotisme maternel, depuis les sexualités contemporaines jusqu’à la psychose, la pulsion de mort, l’objet, l’adolescence. Nous avons eu le plaisir d’entendre par visioconférence ou enregistrement nos collègues de Londres, New York, Beyrouth, Rio de Janeiro, Luxembourg, Bruxelles, etc. Ce travail va donc être diffusé malgré la difficulté de la situation, grâce aux intervenants qui se sont adaptés pour transmettre ce cheminement de leur pensée. Il est d’autant plus essentiel de garder vive notre participation et notre effort en ce sens que nous sommes dans un moment crucial de la psychanalyse, où elle n’est plus attendue, plus supposée pouvoir enseigner quelque chose au monde, alors même qu’elle en sait un bout mais doit le démontrer. Elle a donc à tenir compte des critiques qui lui ont été adressées pour en tirer les conséquences et poursuivre, en actualisant ce qu’elle sait et ce qu’elle dit.

Gisèle Chaboudez

Vice-Présidente