Éditorial

Pour une psychanalyse moderne dans un monde en mutation

Chères et chers collègues,

Il est important et nécessaire aujourd’hui de contribuer à rendre la psychanalyse moderne dans notre monde en mutation.

Cela signifie promouvoir une psychanalyse en mouvement, une psychanalyse vivante qui ouvre sur une approche pluridisciplinaire, sur les arts et la culture, sur les générations nouvelles, une psychanalyse ouverte à la révision selon l’ex- pression de Freud dans La Question de l’analyse profane, une psychanalyse en extension, comme disait Lacan.

Le travail critique interne à la psychanalyse est constant, débute avec Freud lui- même, et se poursuit nécessairement avec ses successeurs, car l’un des enjeux de l’inventeur de la psychanalyse aura été de fonder une science qui viendrait prendre place dans le champ des sciences de la nature. Pour ce faire, il s’inté- resse aux disciplines de son époque, dans lesquelles il puise des éléments pour construire son oeuvre théorico-clinique, ce qui l’éloigne définitivement de tout dogmatisme. L’accent que mettait Freud sur l’épistémologie et la scientificité de la psychanalyse nous montre à quel point il était un chercheur, un inventeur, et même un écrivain qui va puiser dans des champs très différents pour pouvoir élaborer le modèle d’une pratique inédite. Son invention dépasse son projet ini- tial, conçu comme scientifique, et la constitution de ces emprunts se fonde tout autant sur l’originalité de son expérience que sur les nécessités théoriques qu’elle implique dans sa pratique.

La psychanalyse se pratique par l’écoute de la singularité du cas par cas, qui en constitue un des ressorts. Freud a été réticent à produire une théorie générale ou une synthèse globale, car cet élément de méthode implique le fait que la théorie est toujours à reconstruire. Le mode de constitution du savoir psychanalytique ne peut se faire que dans un aller-retour entre les idées et le matériel de l’expé- rience. En cela, la démarche freudienne est spéculative, mais elle conserve un lien constant avec le matériel empirique. Le mouvement d’aller-retour entre les idées et le matériel clinique fait la particularité des avancées freudiennes. C’est là

aussi que la théorie de l’après-coup vient caractériser la clinique psychanalytique. Cette dimension nous met en garde contre l’idée d’une théorie qui aurait été fixée une fois pour toutes.

En effet, les héritiers contemporains du positivisme comme les neurosciences, y décou- vrirent, non sans surprise, que Freud fut sans doute un de leurs plus sérieux interlocu- teurs. Aux sources de la pensée psychanalytique, se trouvent les plus importantes pen- sées de l’époque, le positivisme, l’herméneutique, la phénoménologie, la philosophie du langage, certes pour mieux s’en séparer par la suite. Par exemple, nous pouvons nous interroger sur le sens de la « causalité psychique » - car si le refoulement cause les symp- tômes, dans quel sens le mot cause doit-il être compris ? - et d’« interprétation » ; car, si le mot a son origine dans l’herméneutique et l’exégèse religieuse, l’interprétation psy- chanalytique est peu à peu devenue une pratique dont le principe est moins de retrouver un sens caché ou perdu que d’inventer de nouveaux « effets de sens » au sein desquels le désir s’affranchit.

Cette réflexion épistémologique essentielle demeure le meilleur moyen de comprendre et de s’informer assez complètement sur les enjeux généraux de la critique de la psycha- nalyse aujourd’hui.

Dans un contexte de critiques renouvelées sur la difficulté de la psychanalyse à penser les phénomènes contemporains, c’est une garantie de la vivacité de la psychanalyse au- jourd’hui de pouvoir la revisiter à l’aune des enjeux actuels. Pour autant, il ne faut pas tomber dans le piège d’une pensée universalisante de la psychanalyse qui pourrait tout dire ou répondrait avec certitude aux questions que soulèvent des phénomènes contem- porains, mais il est clair que s’orienter par la psychanalyse trouve aujourd’hui toute sa pertinence dans notre monde en mutation.

Avec toutes mes amitiés,

Vannina Micheli-Rechtman Présidente d’Espace analytique