Textes fondateurs

L’expérience du cartel, dont Lacan attendait qu’elle règle ou du moins problématise certains effets imaginaires de la foule freudienne, constitue une sorte d’épure de ce qui ne manque pas d’arriver aux grands groupes. Mais elle inclut l’idée d’un terme – permutation, remaniement, dissolution, etc. qui n’invalide pas le travail effectué, et dont l’échec est lui-même matière à enseignement – ou devrait l’être.

Malgré tout, on ne peut pas plus parier sur l’éternité de nos associations que sur leur précarité. Car la question est de savoir comment elles durent – et si leur pérennité ne devient pas la seule garantie imaginaire qu’elles aient à offrir en se sclérosant – ou ce qu’elles font des crises qui rompent leur histoire et qui parfois ont raison d’elles. L’institution n’est pas à idéaliser, ni à régler en fonction d’idéaux, il lui faut plutôt une visée avec laquelle elle reste cohérente. Elle n’est pas une patrie, son nom ne claque pas sur un drapeau, sous l’emblème duquel nous nous unifierions, elle n’est pas un heim, elle a une fonction qui est la seule justification de son maintien et qui tient à la transmission de la psychanalyse, dont elle est l’un des éléments. Sa place y est nécessairement problématique, car l’articulation de l’analytique à l’institutionnel, question ouverte par Lacan, reste toujours le point crucial de l’institution analytique. Il faut, sans doute, repartir du fait que le regroupement de psychanalystes en association ne suffit pas à qualifier celle-ci d’analytique. Gradus, cartel, passe sont les éléments que Lacan proposa pour mettre au travail cette articulation ; ils balisent encore ce champ et restent à élaborer avec la diversité des expériences de ces années écoulées de la vie du mouvement analytique pendant et depuis l’E.F.P. Pourtant nul, aujourd’hui, ne pourrait prétendre avoir trouvé « la solution du problème de la Société psychanalytique « . À ce propos Moustapha Safouan soulignait que celle-ci « ne réside pas dans l’adoption d’un modèle social égalitaire ou encore « fraternel ». Il indiquait aussi que toute organisation sociale se caractérise par « le fait que le sujet ne saurait prendre la parole qu’à partir d’une position fixée à l’avance » et que « ce qui est requis pour la formation des analystes [… ] est une organisation [… ] où puisse parler le sujet qui est censé être advenu là où c’était ». Nous partirons donc du point où l’histoire institutionnelle, d’où est issu Espace analytique, nous a conduit. Car cette histoire n’est pas à renier, mais elle reste à faire. Ainsi, nous ne prétendons pas pallier au mal chronique qui ronge les associations psychanalytiques en proposant ces statuts. Ils contiennent les modifications correspondant à l’avancée qui n’avait pas été possible jusque-là : suppression de la distinction entre membres actifs et associés ; limitation de la durée des mandats des membres du Bureau ; candidature libres au Conseil d’Administration ; création d’un Collège – instance sans pouvoir, mais non sans moyen -dont on peut attendre qu’il permette de parler en ne réduisant pas la parole au vote, et qui aura à conquérir une autorité puisque sa fonction est médiatrice et éthique ; etc. Pour autant, il reste plus que jamais nécessaire de n’instituer « du nouveau que dans le fonctionnement ». Car des statuts ne régleront pas définitivement le problème des rapports entre la psychanalyse et l’institution. Il faut les concevoir dans le mouvement même de leur mise à l’épreuve, dans un remaniement constant, un work in progress qui soit aussi la tâche de l’institution, pour qu’elle prenne dans l’après-coup la mesure de son histoire. La question devient celle des dispositifs à mettre en place pour travailler l’institution avec l’analyse en tenant compte de la forme de résistance que constitue le groupe. Serge Leclaire, il y a quelques années, affirmait que l’institution était une mise en commun des résistances à l’analyse. Mais en même temps et de façon peut-être paradoxale, il faut souligner avec insistance que l’institution est une pièce essentielle de la formation. C’est la tension entre ces deux pôles qui doit être continûment réinterrogée.